Matinée un peu triste. Araignée du matin ? Pas besoin. J’avais pas envie d’y aller. En plus elle est pas là, je l’appellerai à la pause. Il est lourd avec ses textes ce prof. Bon je jette quand même un œil à la feuille dès fois qu’il interroge et qu’en prime ça tombe sur moi. « L’homme mit au monde un enfant. » Ils sont tarés les linguistes. L’appeler non, un message suffira, j’ai pas envie de parler de toute façon. J’espère qu’elle a juste eu un excès de flemme. Je l’aurais bien eu moi aussi, si j’avais eu autre chose à faire. Mais même m’ennuyer seule ça me tentait pas. « Le monde réel existe-il indépendamment de notre langue ? Est-ce qu’on peut dire qu’un bruit existe si personne ne l’entend ? Un exemple : un arbre tombe dans une forêt, personne ne l’entend, l’arbre est-il tombé ? » Ouah ! J’ai du me tromper de cours. J’fais quoi ici moi ? Je prends une feuille. Je m’ennuie. J’étais toute seule y’a pas longtemps, je lui avais gardé une place. Je suis à distance des autres mais je réponds à leurs sourires. Ces connaissances que je m’efforce de ne pas approfondir, de toute façon, elles sont vouées à se distendre. Mais là y’a un gars louche qui vient d’entrer. Il est pas louche il est étranger. Enfin surtout c’est un mec, le seul de la salle, et il vient se coller à coté de moi. Regards limite courroucés des autres nanas. Non mais c’est bon laissez tomber quoi. Je regarde par la fenêtre depuis une heure j’espère que le prof a rien grillé. A l’instant même où je m’interroge sur ma discrétion, ce dernier nous demande très naturellement et très sérieusement quelle est la couleur de l’herbe. Je veux partir. « Si vous regardez cette herbe, pouvez-vous dire que l’herbe est verte ? » Soupires. Moi ce que je regarde depuis une heure, c’est un grand arbre en fleurs. Il est magnifique. Ici c’est moche, une construction vétuste des années 70. Mon Université. Préfabriquée. Le voilà qui pose une question sur la couleur des rideaux, tout va y passer à ce rythme. Les rideaux, je les regarde depuis une heure aussi. Et voilà, débat sur la couleur des rideaux : roses ? saumons ? orangés ? La plaie d’être dans une classe de filles. Ils sont rouges les rideaux. On va pas débattre une heure sur des questions de perceptions propres à chacun non ? Non puis je suis pas dupe non plus, votre idée là, c’est d’imposer votre avis, votre rêve c’est de convaincre, et qu’à la fin tout le monde approuve : « Mais oui, ils sont orangés moirés de rose, j’avais raison depuis le début ! » De toute façon je l’ouvrirai pas pour dire qu’ils sont rouges. Ils le sont pour moi. Elles sont pourris ces chaises, elles grincent quand on bouge. Je veux partir. En même temps c’est déjà fait. Ce spectacle est bien trop beau. Le ciel est blanc, il fait froid mais il ne neigera pas. L’arbre est couvert de petites fleurs blanches. Je crois que c’est un prunier. Il pleut des pétales. Et les branches forment autant de petites arceaux. Et moi je vois du rouge et du blanc. C’est un arbre de campus, une invitation à l’évasion. Il faut que je remercie l’architecte pour toutes ces fenêtres. Mais j’ai froid.
Mar 22 Avr - 21:35